Les fondations ordinaires ne devraient pas figurer dans le registre de transparence
Un commentaire de Thomas Sprecher
Début octobre, le projet de loi sur la transparence des personnes morales (LTPM) sera de nouveau examiné par la commission juridique du Conseil des États. Le problème est que, dans le projet de loi actuel, les fondations seraient également tenues de s’inscrire dans le registre de transparence. Cela impliquerait que le président du conseil de fondation soit inscrit comme « ayant droit économique ». Or, les fondations n’ont pas d’ayants droit économiques, et il faudrait donc documenter un fait inexact. SwissFoundations s’oppose fermement à cette incohérence dans la loi fédérale et plaide pour une exception.
Voici les faits et arguments résumés :
Le 30 août 2023, le Conseil fédéral a soumis le projet de loi sur la transparence des personnes morales (LTPM) dans le cadre du renforcement de la lutte contre le blanchiment d’argent. Parmi d’autres mesures, un registre fédéral des ayants droit économiques doit être mis en place, dans lequel les personnes morales en Suisse doivent indiquer leurs ayant droit économiques.
Le projet de loi prévoit également que les fondations doivent s’inscrire dans le registre de transparence. Ceci doit être corrigé. Les fondations ordinaires doivent être exemptées du champ d’application de la loi pour plusieurs raisons :
1. Les fondations ordinaires respectent déjà les exigences de transparence de la Financial Action Task Force. En effet :
- Les fondations ainsi que tous les membres du conseil de fondation et les autres organes doivent être inscrits au registre du commerce (art. 81 CC et art. 94 ORC).
- Les fondations ordinaires sont soumises à une surveillance étatique (art. 84 CC) et doivent rendre compte chaque année. En cas d’incertitudes, l’autorité de surveillance peut toujours demander des informations supplémentaires.
- Les fondations ordinaires sont vérifiées par un organe de révision ; les exceptions doivent être approuvées par l’autorité de surveillance (art. 83b CC).
- Si les fondations ordinaires demandent une exonération fiscale, ce qui est la norme, elles doivent respecter des conditions strictes.
2. Les fondations ordinaires n’ont pas d’ayants droit économiques. Elles ne connaissent ni propriétaires tiers ni membres. Leur patrimoine leur appartient exclusivement et est irrévocablement affecté à l’objet de la fondation (art. 80 CC). Il ne s’agit ni de la propriété du fondateur, ni de celle des membres du conseil de fondation, ni des bénéficiaires. Le fondateur ne peut pas obtenir le retour des biens de la fondation, même après sa dissolution. Une telle dissolution ne peut être décidée que par les autorités de surveillance, qui contrôlent également l’utilisation des actifs de liquidation.
3. Le président du conseil de fondation d’une fondation ordinaire n’est pas un ayant droit économique. Il n’est pas justifié qu’une personne, en raison de sa fonction de président, soit inscrite au registre des ayants droit économiques. Il n’y a pas de justification en droit des fondations pour cela. De plus, cette inscription pourrait avoir des conséquences néfastes pour lui, car elle donnerait l’impression erronée qu’il est le propriétaire ou le bénéficiaire économique du patrimoine de la fondation.
4. Le fondateur d’une fondation ordinaire n’a plus de lien juridique avec la fondation après sa création, sauf s’il s’est réservé certains droits dans l’acte de fondation. Cela ne le rendrait cependant pas ayant droit économique. Le patrimoine de la fondation resterait alors uniquement affecté à son but statutaire.
5. Les bénéficiaires d’une fondation ordinaire ne sont pas non plus des ayants droit économiques. En général, il s’agit de fondations discrétionnaires, c’est-à-dire que les organes de la fondation décident des prestations de soutien à leur discrétion. Même si l’acte de fondation accorde certains droits à des bénéficiaires, cela ne fait pas d’eux des ayants droit économiques du patrimoine (total) de la fondation.
Conclusion : L’inclusion des fondations ordinaires dans le registre de transparence prévu doit être rejetée, car elle est factuellement erronée et même nuisible. Tout comme les institutions de prévoyance professionnelle, les fondations ordinaires doivent être exemptées du champ d’application de la LTPM.
Thomas Sprecher est avocat à Zurich et membre du Legal Council de SwissFoundations.
Tags